American Management Systems : zoom sur ses missions passées

Un ordinateur clignote, perdu dans le labyrinthe d’une administration Ă  bout de souffle. Ce n’est pas le dĂ©cor d’une sĂ©rie dystopique : c’est le point d’ancrage d’American Management Systems. DiscrĂšte pour le grand public, cette sociĂ©tĂ© s’est invitĂ©e dans les coulisses de la gestion publique et privĂ©e, bousculant habitudes et inerties sans jamais s’offrir le luxe des projecteurs.

Imaginez une troupe qui, en quelques mois, rebat les cartes informatiques d’un ministĂšre ou rĂ©invente la logistique d’une mĂ©tropole. À chaque intervention, la mĂȘme promesse : relancer la machine, mĂȘme quand elle semble figĂ©e. Retour sur ces chantiers oĂč AMS a imprimĂ© sa marque, parfois en silence, toujours avec un goĂ»t du dĂ©fi bien trempĂ©.

American Management Systems : une trajectoire hors du commun dans le conseil

Dans la jungle du conseil en management, American Management Systems (AMS) n’a jamais fait dans la demi-mesure. Créée en 1970 Ă  Arlington, Virginie, par cinq anciens cerveaux du Pentagone — Patrick W. Gross, Jan Lodal, Frank Nicolai, Ivan Selin et Charles Rossotti — la sociĂ©tĂ© porte dans son ADN l’esprit mĂ©thodique et l’envie de rĂ©forme de ces « Whiz Kids » qui ont cĂŽtoyĂ© Robert McNamara. À leur actif : la gestion de projets complexes, la passion de la rationalisation, et surtout une vision de l’avenir oĂč la technologie sert de levier.

Le siĂšge quitte Arlington pour Fairfax Ă  mesure que l’entreprise prend de l’ampleur. À la fin des annĂ©es 1990, AMS compte plus de 9 000 collaborateurs et tutoie le milliard de dollars de chiffre d’affaires. Gross pilote la stratĂ©gie, Lodal devient la rĂ©fĂ©rence maison des systĂšmes d’information, pendant que Nicolai, Selin et Rossotti bĂątissent une offre Ă  la croisĂ©e de l’analyse et de l’innovation technique.

Le cap international s’affirme : AMS s’implante au Royaume-Uni, en Allemagne, au Portugal, en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas, en Suisse, en Pologne. Cette progression accĂ©lĂšre la diversification des missions :

  • refonte des services publics et administrations
  • solutions sur mesure pour la finance et les tĂ©lĂ©coms
  • accompagnement des grands groupes sur l’informatique de gestion

Sous l’égide d’Alfred T. Mockett, la sociĂ©tĂ© cultive un style singulier : entre vision stratĂ©gique, expertise terrain et rigueur d’exĂ©cution, AMS s’impose comme un pionnier du conseil technologique, bien avant que cela ne devienne une norme.

Quelles missions emblĂ©matiques ont façonnĂ© la rĂ©putation d’AMS ?

DerriĂšre la success story d’American Management Systems, une sĂ©rie de projets marquants tĂ©moigne de son audace et de sa capacitĂ© Ă  naviguer dans les secteurs les plus exigeants : sphĂšre publique, tĂ©lĂ©coms, finance. Les interventions d’AMS ont souvent changĂ© la donne lĂ  oĂč d’autres se heurtaient Ă  la complexitĂ©.

  • Standard Procurement System : pour le DĂ©partement de la DĂ©fense amĂ©ricain, AMS orchestre la refonte des achats dans l’une des bureaucraties les plus tentaculaires du monde. Objectif : automatiser, harmoniser, fiabiliser — un chantier titanesque qui inaugure une nouvelle Ăšre dans la gestion des marchĂ©s publics.
  • SystĂšme comptable de la ville de New York : la sociĂ©tĂ© imagine une plateforme intĂ©grĂ©e pour piloter la comptabilitĂ© d’une mĂ©galopole. RĂ©sultat : collecte et analyse des donnĂ©es financiĂšres enfin centralisĂ©es, transparence retrouvĂ©e, efficacitĂ© Ă  la clĂ©. C’est une petite rĂ©volution dans la gestion des finances municipales.

CĂŽtĂ© entreprises, la crĂ©ativitĂ© d’AMS s’exprime Ă  travers des plateformes avant-gardistes :

  • PRISM pour PacTel Cellular (futur AirTouch) : un systĂšme novateur de gestion client et facturation, qui prĂ©figure la relation client des annĂ©es 2000.
  • Spectrum 2000 : une solution taillĂ©e pour optimiser la gestion des ressources tĂ©lĂ©coms.
  • Tapestry pour Arcor : plateforme de gestion de facturation et d’opĂ©rations, pensĂ©e pour la performance.

Ce qui distingue AMS ? La capacitĂ© Ă  bĂątir des architectures informatiques robustes, Ă  la hauteur d’enjeux colossaux. Ces rĂ©alisations ont placĂ© l’entreprise au cƓur des grandes mutations technologiques de la fin du XXe siĂšcle.

Des succÚs retentissants aux défis rencontrés : retour sur des projets marquants

Le parcours d’American Management Systems est ponctuĂ© d’explosions technologiques et de revers Ă  la hauteur de ses ambitions. AprĂšs avoir dĂ©collĂ© Ă  la vitesse grand V, AMS attire en 1989 le regard d’IBM, qui entre au capital Ă  hauteur de 10 %. Ce rapprochement dope la sociĂ©tĂ©, notamment sur les marchĂ©s les plus techniques, cĂŽtĂ© secteur public et grands comptes privĂ©s.

Mais la trajectoire n’a rien d’un conte de fĂ©es. Deux affaires judiciaires viennent bousculer la rĂ©putation du groupe :

  • Un diffĂ©rend avec l’État du Mississippi, qui se solde par un rĂšglement Ă  185 millions de dollars.
  • Un litige avec le Federal Thrift Investment Board, pour lequel AMS dĂ©bourse 5 millions de dollars.

Ces Ă©pisodes disent tout de la difficultĂ© Ă  allier innovation technologique et contraintes des marchĂ©s publics amĂ©ricains. L’onde de choc force l’entreprise Ă  revoir sa stratĂ©gie, Ă  ajuster ses ambitions.

La suite s’écrit sur le mode des grandes manƓuvres financiĂšres : en 2004, CGI Group s’offre AMS pour 858 millions de dollars. La branche DĂ©fense, fleuron historique, rejoint CACI pour 415 millions. Ce dĂ©mantĂšlement tourne la page, mais confirme aussi la valeur stratĂ©gique accumulĂ©e par AMS au fil des dĂ©cennies.

gestion d entreprise

Ce que l’hĂ©ritage d’AMS rĂ©vĂšle sur l’évolution du secteur technologique

L’histoire d’American Management Systems ne se limite pas Ă  une sĂ©rie de contrats ni Ă  un rachat spectaculaire. Elle s’incarne dans ce qu’elle a lĂ©guĂ© au conseil technologique et Ă  la transformation numĂ©rique. En 1993, la crĂ©ation de l’AMSCAT (AMS Center for Advanced Technologies), confiĂ©e Ă  Jerrold M. Grochow, matĂ©rialise ce dĂ©sir d’anticiper les grandes mutations. VĂ©ritable laboratoire d’idĂ©es, AMSCAT a permis de tester, puis de diffuser, des solutions qui annonçaient dĂ©jĂ  les standards actuels de l’informatique de gestion et des systĂšmes d’information complexes.

La force d’AMS : inventer des rĂ©ponses sur-mesure pour les acteurs publics et privĂ©s, qu’il s’agisse de plateformes de facturation pour la tĂ©lĂ©phonie mobile ou de systĂšmes de pilotage pour la ville de New York. Ce choix d’associer expertise mĂ©tier et maĂźtrise technologique a rebattu les cartes, ouvrant la voie Ă  une nouvelle façon d’envisager le conseil, entre stratĂ©gie et intĂ©gration numĂ©rique. Une inspiration pour les mastodontes du secteur, qui y puisent encore aujourd’hui.

  • Le schĂ©ma AMSCAT a inspirĂ© nombre de centres d’innovation chez les grandes ESN.
  • Les mĂ©thodes et outils conçus par AMS irriguent encore la gestion des projets Ă  haute complexitĂ©.

La disparition d’AMS comme entitĂ© indĂ©pendante n’a rien effacé : l’innovation continue, la diversitĂ© des Ă©quipes et l’investissement dans la recherche appliquĂ©e sont devenus la nouvelle norme. Dans le sillage d’AMS, le secteur avance, portĂ© par une exigence hĂ©ritĂ©e : celle de conjuguer audace et efficacitĂ©, pour que le futur ne soit pas qu’un mot-valise.